Le 12 avril est institué depuis quelques années comme la journée internationale des enfants en situation de rue. A cette occasion, madame Anita MUADI nous a accordé une interview exclusive. Elle est la présidente de la fondation NAZA SHEGUE, une structure de la société civile qui milite pour la question des enfants vivant dans la rue. De l’initiative à ses ambitions, elle nous raconte tout.
Interkinois : Pouvez-vous nous raconter comment tout a commencé ?
Anita MUADI : Tout a commencé dans ma chambre. NAZA SHEGUE est née d’un autre projet. J’étais en train de réfléchir sur la question de la jeune fille mère sur laquelle j’étais en train de travailler. C’est en travaillant que l’idée m’a traversé l’esprit et je me suis dit pourquoi ne pas m’accrocher sur ce projet. Après je me suis documentée et j’ai fait des descentes sur terrain pour comprendre en vrai ce que vivent ces enfants dans la rue pour enfin de m’engager.
IK : Qu’est-ce qui distingue NAZA SHEGUE d’autres ONG et ASBL ?
AM : Il faudrait savoir que la fondation NAZA SHEGUE est plus proche de ses enfants de la rue. Nous travaillons exclusivement avec ces enfants et nous descendons vraiment à la source. Nous sensibilisons, nous discutons avec eux pour comprendre ce qu’ils ont comme soucis. C’est cela notre particularité. Il y a plusieurs ONG qui œuvrent dans ce champ mais c’est plus les orphelinats et ce qui s’en rapproche pendant que nous nous focalisons sur les enfants de la rue.

IK : Pourquoi ce nom NAZA SHEGUE au lieu de « BANA NA NZELA TE » par exemple ?
AM : Parce que généralement à Kinshasa pour désigner un enfant en situation de rue on dit SHEGUE. C’est surtout pour porter leur cause. Lorsque je dis NAZA SHEGUE, cela ne veut pas dire que je cautionne ce phénomène. C’est plutôt une façon de dire que je ne vous repousse pas malgré votre situation et votre condition. C’est pour dire que vous n’êtes pas seuls, vous êtes ma famille, vous êtes ma priorité, vous êtes le centre de mes pensées, donc NAZA SHEGUE.
IK : Les enfants de la rue, la situation est latente. Depuis vos débuts jusque-là, qu’avez-vous fait pour faire avancer la cause ?
AM : Nous avons déjà fait plusieurs actions. La première des choses c’est dans la sensibilisation. Nous avons inculqué à ceux qui nous suivent depuis le début, une certaine façon de se conduire avec ces enfants. Il faut savoir que la majorité ne voyaient ces enfants que comme des personnes brutales, qui n’ont pas de cœur et ne méritent pas qu’on leur tend la main. Pourtant ils ont besoin de notre aide. Au-delà des idées qu’on se fait sur eux, ils sont humains comme nous tous et méritent de l’aide, qui ont besoin d’être entendus et d’affection. Ça ne coûte pratiquement rien d’aider un enfant dans cette situation, de l’écouter avant tout, il a peut-être faim ou il est en manque. D’abord l’écoute et après vous pouvez l’aider. Ça ne sert à rien de l’insulter.
IK : Ce que vous faites actuellement est-ce suffisant ? Et comment faire plus ?
AM : Non, ce n’est pas suffisant. Il est vrai que nous avons mené plusieurs actions mais ce n’est pas suffisant parce que le champ est vraiment grand. Les enfants de la rue ce n’est pas 5 ou 10 individus. C’est pourquoi nous allons vers les organisations internationales et l’Etat congolais pour faire évoluer la situation et changer la donne. Nous envisageons également d’aller vers les familles et les églises pour éviter que d’autres enfants ne se retrouvent dans la même situation. En outre nous nous préparons pour commencer désormais à documenter sur le vécu des enfants en situation de rue.

IK : Cette situation a plusieurs causes et certaines sont un peu complexes. Ne vous sentez-vous pas toute petite ?
AM : Je ne peux pas me sentir toute petite parce que c’est un objectif, un challenge et un engagement. Donc je ne peux pas abandonner, je dois aller jusqu’au bout. Et aussi la fondation ne compte pas à elle seule mettre un terme à cette situation. Nous voulons plutôt être ceux qui vont fédérer les forces entres autres les églises, la famille, le gouvernement et ensemble nous savons que c’est possible. Il faut une prise de conscience pour relever les défis ensemble.
IK : Les structures de la société civile servent souvent de tremplin pour attirer la sympathie et après se lancer en politique. Etes-vous sur ce schéma ?
AM : Non. C’est vrai que jusque-là je n’ai pas encore un projet politique mais, si dans les jours à venir je me conçois un projet dans cette optique, je n’y trouve aucun inconvénient. Tant que cela ne m’emmène pas loin de ma mission dans la fondation, cette œuvre caritative qui consiste à venir en aide aux enfants en situation de rue, il n’y a aucun problème. Pourquoi pas demain devenir parlementaire et proposer une loi en faveur des enfants en situation de rue. Ça sera toujours bénéfique pour eux. Sinon je ne me sers pas des enfants en situation de rue pour occuper des postes ou me faire un nom. Je m’occupe d’eux parce que c’est une passion. Ils ont des droits et leurs droits doivent être revendiqués et ils doivent bénéficier de cela.
IK : Où trouvez-vous l’argent pour mener vos activités et vos finances sont-elles suffisantes ?
AM : A côté de la fondation NAZA SHEGUE je suis entrepreneure. Ce sont ces revenus qui m’aident à organiser les activés. Je ne reste pas les mains croisées. C’est vrai qu’on a besoin d’aide mais j’ai cette casquette d’entrepreneure pour avoir une source de revenu et relevé ce défi qui est tellement grand. J’en profite pour passer un message à toutes les personnes de bonne volonté qui aimeraient bien accompagner la fondation NAZA SHEGUE de ne pas hésiter à venir vers nous. Contactez-nous sur nos réseaux sociaux fondation NAZA SHEGUE sur Facebook, Instagram ou même Tik tok et pourquoi sur mon propre Facebook Anita MUADI MATT. Ensemble nous ferons de grandes choses parce que je sais qu’ensemble nous sommes forts et capables, le défi sera relevé.
IK : Si vous aviez plus d’argent, qu’est-ce que vous changerez?
AM : Si j’avais plus de moyens je construirai un centre fermé pour héberger les enfants qui sont dans la rue et je mettrai tout ce qu’il faut dedans. Les centres qui existent, avec lesquels je travaille et je les remercie, ne sont pas vraiment des centres fermés. Il y a des heures bien précises, ils peuvent être là de 8 heures à 12 heures et après ils retournent dans la rue exposés à tout. Après 12 heures chacun se prend en charge, il quémande et reprend les mauvaises habitudes. Si je fais un centre il y autre un bloc réservé à la formation pour garantir leur autonomie quand ils sortiront au moment jugé opportun.

IK : Que pensez-vous que l’Etat peut faire pour ses enfants en situation de difficulté ?
AM : L’Etat a beaucoup à faire parce que c’est de sa responsabilité. En tant fondation nous accompagnons simplement l’Etat. Déjà si l’Etat peut faire que les enfants ne se retrouvent pas dans la rue il rendra service à tout le monde. Et pourquoi pas un jour ériger un mémorial des enfants de la rue. Ce sera une façon de se souvenir des calvaires qu’ils vivent ou qu’ils ont vécu. Voilà.
IK : Le 12 avril le monde célèbre la journée internationale des enfants en situation de rue. Est-ce que cette date est vraiment mise à contribution dans notre pays ?
AM : Pas du tout. Nous continuons à sensibiliser et espérons qu’un jour ça va changer. Pourquoi pas un jour se retrouver autour d’une table pour réfléchir sur la question des enfants de la rue et impliquer tout le monde.
IK : Il reste 8 mois avant la fin de l’année, quelles sont les autres dates importantes pour NAZA SHEGUE ?
AM : Nous avons encore beaucoup de choses à faire avant la fin de cette année. Il y a des actions que nous menons chaque année de façon ponctuelle. Nous avons l’initiative « likabo nayo ekoki ko latisa shegue » mais aussi « 1 dollar nayo ekoki ko latisa shegue ». Selon les possibilités de chacun, vous pouvez aider avec des vêtements, des fournitures scolaires ou simplement de l’argent. J’en profite encore pour lancer un SOS à toutes les personnes qui peuvent aider ces enfants, nous avons besoin de vous pour changer la situation. Vous avez peut-être des habits, la nourriture au lieu de brûler ou jeter, faites un don à ces enfants qui dorment à la belle étoile et manquent de tout.
IK : Combien d’enfants en situation de rue ont déjà bénéficié des œuvres de la fondation NAZA SHEGUE ?
AM : Plusieurs enfants en ont déjà bénéficié. Nous avons fait beaucoup de dons depuis que la fondation existe et nous continuons à le faire. Il faut savoir que nous travaillons en collaboration avec plusieurs centres à Kinshasa et dans ce cadre nous avons beaucoup sensibilisé, écouté et conseillé ces enfants.
IK : Que pensez-vous accomplir dans les 5 prochaines années ?
AM : Dans les 5 prochaines années nous comptons mettre en place une boulangerie pour faciliter la réinsertion sociale de ses enfants et ainsi ils seront autonomes. Et évidemment nous n’oublions pas un centre d’encadrement comme détaillé dans les lignes précédentes et dans lequel nous aurons aussi un centre de santé pour les soins. Pour ce faire nous aurons besoin de l’apport de tous pour que ce projet soit mis en place. En outre nous voudrons dans les 5 prochaines années obtenir de l’Etat la mise en place d’un service spéciale qui s’occupe de la question spécifique des enfants en situation de rue.
IK : Vous êtes une femme et dans la rue il y a des filles. Comment s’en sortent-elles ?
AM : Elles s’en sortent difficilement. Il faut savoir que les filles sont exposées à tout : les infections, les violences sexuelles au quotidien, etc. Pendant les menstruations, elles manquent même les serviettes hygiéniques. Elles grandissent avec un complexe et manquent de confiance en elle en tant femme. Elles ont du mal à s’accepter. Et la fondation NAZA SHEGUE est là aussi pour porter main forte à ces femmes. Je leur dis à chaque rencontre que vous n’êtes pas seules, je porte votre situation parce que je voudrai qu’elle change et je porte votre porte-voix. J’aimerai que quand on dit non au viol qu’on pense aussi à ces enfants dans la rue, à ces jeunes filles mineures à peine adolescentes, qui subissent des viols chaque jour.
IK : Pour finir, vous avez carte blanche pour un dernier mot.
AM : Tout d’abord merci à Interkinois. Merci à tous les enfants en situation de rue qui nous font confiance. J’aimerai vous dire que vous n’êtes pas seuls et que vous êtes au centre de nos pensées. Merci à toutes les personnes qui nous suivent, merci pour l’énergie positive. Venez et ensemble construisons une jeunesse forte et consciente. Merci à toutes les personnes qui nous soutiennent depuis le début, qui nous envoient des dons. Et à toutes les personnes qui aimeraient aider, n’hésitez pas. Comme j’ai l’habitude de le dire, ensemble nous sommes forts et capables.
Propos recueillis par Eddy KAZADI